Souvenons-nous qu’en 1801 la paix attendue depuis si longtemps par les Français est enfin là mais ce n’est qu’au printemps 1802 qu’une paix générale règne enfin sur le monde occidental. Les habitants de Croze, comme tous les Creusois et tous les Français, pensent qu’ils vont désormais pouvoir vivre en toute tranquillité: finies les levées en masse de tous les hommes capables de porter les armes, levées faites à travers tout le pays et qui, à partir de 1792, avaient fourni les soldats nécessaires à la « défense de la Patrie en danger ». Certains se mettent même à espérer que l’on ne connaîtra plus la conscription qui avait pris le relais des levées dès 1798, conscription qui, par tirage au sort, désignait ceux qui devaient partir aux Armées. Durant cette longue période de guerre il n’avait pas été facile pour les autorités, ce recrutement! Que de rebelles, que de déserteurs à travers tout le pays et particulièrement dans le sud de la Creuse où il était si facile de se cacher! Ainsi en 1800 le préfet avait-il adressé la déclaration suivante aux conscrits du département: « La République vous appelle et vous êtes sourds à sa voix! Vos camarades des autres départements marchent à grands pas vers l’immortalité et vous ne vous empressez pas d’imiter ce noble exemple! Par cette lâcheté criminelle, vous déshonorez le sol qui vous a vu naître. »
Malheureusement la paix générale qui avait donné naissance à tant d’espoirs ne sera en fait qu’une trêve car dès l’automne 1802 on ressentira déjà sa fragilité et au printemps 1803, les combats commenceront, combats qui dureront jusqu’en 1814 et ne cesseront qu’avec la chute de Napoléon. Et avec la guerre reprendront les levées d’hommes ; au fil des années, les appels se feront de plus en plus lourds et atteindront des chiffres records lorsque les frontières nationales seront menacées de toutes parts. Durant toute cette période, ces levées seront de nouveau loin de se faire avec facilité et le Préfet aura bien du mal à fournir le contingent imposé. C’est dans l’arrondissement d’Aubusson, et particulièrement dans le canton de Felletin, que les autorités ont alors le plus de difficultés et l’on verra même, dans ces deux villes, des conseils de révision ne pouvoir se tenir que sous la protection de plusieurs brigades de gendarmes !
Comment expliquer tant d’insubordination dans cette région de la Creuse? Tout d’abord il est certain que ce pays montagneux et boisé offre de nombreuses cachettes sûres à ceux qui ne veulent pas revêtir l’habit militaire mais c’est surtout la forte émigration temporaire1 qui est la cause principale de cette difficulté: comment réduire à l’obéissance des migrants dont les parents assurent ne plus avoir de nouvelles, et de ne même pas connaître leur lieu d’habitation?
Cependant, un certain nombre de jeunes gens de la région se soumettent aux opérations de recrutement mais, parmi eux, beaucoup sont réformés, les uns pour maladie, d’autres pour défaut de taille. Cette dernière inaptitude représente alors le principal motif de réforme. Rappelons que nos ancêtres étaient plus petits que nous et de ce fait, jusqu’en 1802, la taille minimum requise pour partir aux armées est de 1,598 m. ; en 1804 elle est abaissée à 4 pieds 9 pouces, soit 1,544m. et l’on constate que ce minimum est encore trop élevé pour un grand nombre de jeunes gens. Il faut quand même dire que l’administration militaire appliquant le règlement de manière très rigoureuse bon nombre de jeunes seront réformés pour quelques millimètres manquants!
Tout le monde ne peut pas compter sur une maladie, sur sa petite taille ou sur tout empêchement plausible et quand on est bien décidé à se soustraire aux obligations militaires on déploie mille et une ruses: que de faux certificats médicaux, que de plaies habilement entretenues et même que d’usurpations d’identité seront découverts par les autorités durant ces années de guerre! Parmi ceux qui malgré tout devront se résigner au départ un certain nombre désertera et se cachera dans les forêts profondes du sud du département …
Allons maintenant faire un tour à Croze en ces années de combats…
Croze le 23 vendémiaire de l’an Il
En ce 23 vendémiaire de l’an Il (15 octobre 1802) le conseil est réuni à Croze pour « recevoir les réclamations de ceux des conscrits des deux classes de l’an 9 et de l’an 10 de la commune qui prétendent avoir des infirmités ou autre dispense de service militaire… »
Parmi les 14 conscrits de l’an 9, certains sont représentés par leurs parents qui demandent l’exemption de leurs fils partis comme scieurs de long et dont ils ne connaissent pas les adresses ; un autre est déclaré absent de la commune depuis 9 à 10 ans ; certains déclarent être mariés et de ce fait ne pouvoir partir; d’autres enfin disent avoir des infirmités telles que des jambes en très mauvais état et continuellement enflées ou déclarent souffrir de relâchement d’urines.
Parmi les 13 conscrits de l’an 10 certains se déclarent soutiens de famille et ajoutent que sans eux les leurs seraient réduits à la mendicité. Un autre dit qu’il a déjà trois frères à la défense de la patrie, qu’il est le seul homme de la famille, qu’il est marié depuis plusieurs années et de plus il déclare être atteint journellement de fièvre. Deux autres disent ne pas avoir la taille requise, le premier ne mesurant que 4 pieds 10 pouces (1,56m.), Jean- Baptiste Vaisse, le second, ne dépassant pas 5 pieds (1,62m.). Arrive enfin un cas assez particulier, celui de Gabriel Crépiat, habitant de la Villeraud. C’est son frère, Pierre Crépiat, qui se présente à sa place, le dit Gabriel étant absent à la campagne (c’est-à-dire parti comme scieur de long). Il déclare ne point connaître les motifs d’exemption qu’il pourrait faire valoir et exprime le désir de vouloir partir à la place de l’absent.
Certaines de ces demandes seront sans doute prise en compte, d’autres essuieront un refus telles celles qui invoquent le défaut de taille, les deux hommes dépassant la taille alors requise. La demande de Pierre Crépiat ne sera elle non plus vraisemblablement pas prise en considération, un frère ou quiconque autre ne pouvant prendre la place d’un conscrit. En fin de compte huit hommes partiront, les uns désignés par tirage au sort, les autres se portant volontaires.
Pour la commune de Croze nous n’avons pu trouver que ces quelques exemples pour illustrer les difficultés de la conscription à cette époque et le désir des jeunes gens de n’être pas enrôlés et envoyés au combat pour de longues années mais il y a sans doute eu bien d’autres cas beaucoup plus marquants que ceux cités.
Ce document est le fruit des recherches de Madame Josette PARFAIT. Elle a eu la gentillesse de déposer en mairie un volumineux dossier dont nous vous proposons ici quelques extraits. Pour les personnes qui s’intéressent à l’histoire et aux petites histoires de la commune, le dossier complet est consultable en mairie aux heures habituelles d’ouverture. Que Madame PARFAIT soit ici chaleureusement remerciée pour son remarquable travail.