Dans la seconde moitié du XIXème siècle, un nouveau moyen de transport allait faciliter la communication des personnes et des marchandises entre les régions françaises : le chemin de fer entrait petit à petit au cœur des campagnes les plus reculées. Nos migrants creusois, qui, depuis des siècles regagnaient à pied leurs lieux de travail temporaire dans la capitale, purent désormais aller « prendre le train» en gare de Felletin : quel gain de temps et que de fatigue en moins !
Il fallut cependant attendre le début du XXème siècle pour que la ligne ferroviaire soit prolongée jusqu’à Ussel (en Corrèze) et qu’une gare soit construite à Croze.
Cette gare située à la Grattade, non loin de la mairie et de l’école, devait attirer une activité commerciale dans ce nouveau bourg établi en bordure de route. Cafés, hôtels, restaurants accueillaient désormais les touristes qui descendaient à Croze.
Quelle fierté pour les habitants de Croze d’avoir une gare construite sur le parcours Aubusson-Ussel. Le tronçon Felletin-Ussel fut ouvert au public le 1er Juin 1905, tronçon qui, faute de trafic suffisant, fut fermé dans les années 1970 et, malheureusement, la gare de Croze le fut en même temps…
Nous allons maintenant revivre un moment important, celui de l’inauguration officielle de ce tronçon le 4 Août 1905. Pour cela il nous suffit de lire l’article paru dans Le Réveil de la Creuse, article donnant tous les détails sur cette « journée inoubliable » :
« Il fait un temps superbe ! A peine le char de l’aurore a-t-il fait son apparition qu’une grosse partie de la population aubussonnaise se prépare elle aussi à se rendre à la gare, qui, dans un instant, sera littéralement envahie par une foule énorme en quête de billets pour la Courtine et autres lieux. Dépeindre l’aspect d’Aubusson Gare est chose impossible. M. le Chef de Gare et son personnel sont sur les dents Ils étaient loin, très loin de s’attendre à une cohue semblable… »
Nous apprenons dans l’article que le ministre des Travaux publics, M. Gauthier, était ce jour-là du voyage. Que de monde ! Que de monde ce 4 Août en gare d’Aubusson : jamais les deux locomotives n’avaient eu à acheminer autant de wagons. Le train est littéralement pris d’assaut par des centaines de voyageurs qui arrivent tous à trouver place. À 6h50 du matin, sans aucun retard, le convoi démarre pour s’arrêter, non loin de là à Moutier-Rozeille, cela afin de saluer son maire, le sénateur Mazière.
Felletin : arrêt buffet. La gare a revêtu ses parures de fête et la fanfare est sur le pied de guerre. Le maire de la ville va de son discours sans oublier de placer une revendication : la mise en service de trains de nuit ce qui aurait pour toute la région un avantage appréciable. Le ministre lui répond en s’engageant à appuyer personnellement cette judicieuse demande.
Et le long convoi s’ébranle : Croze, Clairavaux, partout l’accueil est enthousiaste… Tout Croze semble s’être rassemblé sur le quai de la gare qui a été décorée pour la circonstance : Vive la République ! Vive le ministre ! Vive le chemin de fer ! entend-on fuser de toutes parts. Certains agitent des mouchoirs, d’autres, bras levé, agitent leur main.
Le convoi continue son chemin jusqu’à La Courtine où il doit faire une halte de plusieurs heures. L’animation y est à son comble. L’itinéraire que doit emprunter le cortège officiel, planté d’arbustes, a été décoré de guirlandes et de drapeaux, un arc de triomphe orne la rue de la Mairie. Les badauds se sont massés tout le long du parcours : les femmes ont sorti leurs toilettes les plus fines tandis que les hommes ont pris d’assaut les tables des cafés environnants. C’est d’abord la musique du 38ème Régiment d’Infanterie qui occupe la place, suivie d’un escadron du 10ème chasseur, puis du 16ème Régiment d’Infanterie et enfin une batterie du 16ème d’artillerie est chargée de rendre les honneurs.
- 9 h : vingt et un coups de canon saluent l’arrivée du ministre qui rejoint l’hôtel de ville où l’attendent le maire, les membres du Conseil général, le conseiller d’arrondissement et un panel d’autorités civiles et militaires. C’est l’occasion de remettre quelques distinctions honorifiques : le département comptera ce jour-là sept nouveaux chevaliers du Mérite agricole, un officier de l’Instruction publique, dix officiers d’Académie et trente-cinq médaillés d’honneur du Travail.
- 10 h : visite du grand camp militaire du lieu.
- 11 h : départ pour l’école communale. Des tentes ont été dressées dans la cour pour abriter les cinq cents convives du banquet qui réunit toutes les classes sociales et qu’égaye la musique militaire. Le menu plus que copieux ne compte pas moins de quatre entrées, quatre plats de résistance suivis d’entremets, de gâteaux, de desserts variés, de nougat et de fruits. Le tout est accompagné de vins, de café, de liqueurs et de Champagne… Comment déguster tout cela et tenir les délais? D’autant plus qu’il faut laisser la place aux discours et ils sont nombreux : ceux du préfet, du maire, du conseiller général, du sénateur, du député et enfin celui du ministre. Ce dernier, après avoir rendu un hommage appuyé aux Creusois pour leur attachement à la cause démocratique et mis en valeur les avantages qu’apporte le chemin de fer, aborde certaines questions politiques d’actualité. C’est tout d’abord le service militaire et la loi des deux ans1, la séparation de l’Eglise et de l’Etat2, sujet qui divise les populations et la question des retraites ouvrières3 qui, dit-il, le préoccupe au plus haut point : cette dernière évocation lui attire la sympathie de ses auditeurs…
C’est sous un tonnerre d’applaudissements qu’il quitte ses hôtes pour gagner Ussel, terme du périple, où le convoi arrivera à 18h. Là un nouveau banquet est servi, de nouveaux discours sont prononcés en fin de repas. Le tout se fait assez rapidement car le train doit partir à l’heure pour regagner Aubusson. À 20h50, comme prévu, tout le monde regagne son wagon. Le convoi démarre aux cris de Vive Gauthier ! Vive la République ! lancés par la foule massée sur les quais.
- En 1905, un service militaire obligatoire de deux ans et pour tous remplace le tirage au sort.
- La loi de « Séparation de l’Eglise et de l’Etat » sera instituée en Décembre 1905.
- La loi instituant une retraite pour tous les ouvriers (les mineurs en bénéficiaient depuis 1894) sera votée en Février 1906.
Ce document est le fruit des recherches de Madame Josette PARFAIT. Elle a eu la gentillesse de déposer en mairie un volumineux dossier dont nous vous proposons ici quelques extraits. Pour les personnes qui s’intéressent à l’histoire et aux petites histoires de la commune, le dossier complet est consultable en mairie aux heures habituelles d’ouverture. Que Madame PARFAIT soit ici chaleureusement remerciée pour son remarquable travail.